Billet 2006-04-22
Le principal intérêt de la jurisprudence est qu’elle est un moyen de modifier ou de faire évoluer la réglementation en vigueur, fût-elle budgétaire. L’exemple en est donné, récemment encore, au sujet de la mise en jeu du FCTVA pour les biens mis à la disposition de tiers non éligibles à cette dotation budgétaire.
L’évolution jurisprudentielle
Voici un peu plus d’un an[1], nous écrivions et détaillions que le FCTVA ne pouvait jouer pour les biens mis à disposition d’associations, à raison de leur nature de tiers non éligibles aux attributions de ce fonds. Mais, depuis, la jurisprudence a évolué substantiellement[2] et dans le même sens : il nous faut donc revenir sur les assertions qui avaient été présentées.
L’argumentation de ce revirement tient à la condition posée pour que la mise à disposition d’un tiers de biens remette en cause le FCTVA : l’avantage que le bénéficiaire en retire. Et les termes employés sont très voisins dans les deux arrêts.
Pour la Cour de Nantes : « … par « mises à disposition au profit d’un tiers », le législateur a entendu viser les seuls cas où les conditions dans lesquelles une immobilisation est remise ou confiée par la collectivité ou l’établissement qui l’a réalisée à un tiers, non bénéficiaire du fonds de compensation, font apparaître que l’investissement a principalement eu pour objet ou pour effet d’avantager ce tiers. ».
Pour le Conseil d’État : « … il résulte tant des travaux préparatoires que des circonstances qui ont présidé à l’adoption de ces dispositions, que, par mises à disposition au profit d’un tiers, le législateur a entendu viser les seuls cas où les conditions dans lesquelles une immobilisation est remise ou confiée par la collectivité ou l’établissement qui l’a réalisée à un tiers, non bénéficiaire du fonds de compensation, font apparaître que l’investissement a principalement eu pour objet ou pour effet d’avantager ce tiers ;… ».
Encore faut-il s’entendre sur la notion d’avantage que le tiers retire d’une telle mise à disposition. Les juges ont considéré que l’emploi des biens à une activité d’intérêt général ou à une mission de service public ne procure pas d’avantage. Et l’argumentation est, là encore, la même.
Cour de Nantes : « Considérant que les halles et marchés sont des lieux aménagés à l’usage principal du public en vue de répondre à des besoins d’intérêt général ; qu’ainsi, les commerçants, qui acquittent un droit de place pour l’occupation d’emplacements dépendant de cette partie du domaine public, doivent être regardés, non comme des tiers auxquels seraient mises à leur disposition, à titre exclusif et pour leurs besoins propres, les immobilisations litigieuses, mais comme bénéficiant d’un droit d’usage des bancs du marché dans le cadre de l’accomplissement d’une mission d’intérêt général incombant à la commune ;… ».
Conseil d’État : « Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet, en faveur d’une personne privée, d’un bail emphytéotique prévu à l’article 451-1 du code rural, en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence. (…) ; que le III du même article prévoit notamment que les droits résultant d’un tel bail ne peuvent être cédés qu’avec l’agrément de la collectivité territoriale et seulement à une personne subrogée au preneur dans les droits et obligations découlant de ce bail et, le cas échéant, des conventions non détachables conclues pour l’exécution du service public ou la réalisation de l’opération d’intérêt général ;… ».
L’évolution législative
La loi nº 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 (Journal Officiel du 31 décembre 2005) a, par son article. 42, III, IV, modifié l’article L. 1615-7 du code général des collectivités territoriales dont l’alinéa 2 reprend l’argumentation de la jurisprudence.
« Les immobilisations confiées dès leur réalisation ou leur acquisition à un tiers ne figurant pas au nombre des collectivités ou établissements bénéficiaires du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée et exerçant une activité ne lui ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le bien donnent lieu à attribution du fonds pour les dépenses réelles d’investissement réalisées à compter du 1er janvier 2006 si :
a) Le bien est confié à un tiers qui est chargé soit de gérer un service public que la collectivité territoriale ou l’établissement lui a délégué, soit de fournir à cette collectivité ou cet établissement une prestation de services ;
b) Le bien est confié à un tiers en vue de l’exercice, par ce dernier, d’une mission d’intérêt général ;
c) Le bien est confié à titre gratuit à l’Etat.»
Conséquences pour les associations
Pour les collectivités qui utilisent les associations pour la gestion des biens qu’elles ont financés, la nouvelle est bonne : elles pourront bénéficier du FCTVA. Et, pour les associations, elles ne se verront plus opposer la réticence financière des collectivités lorsqu’il leur faut choisir entre gérer elles-mêmes ces biens ou les confier à des tiers. Autrement dit, le FCTVA n’est plus un critère déterminant de choix du mode de gestion des équipements et le recours aux associations devrait en être favorisé.
Encore faut-il que les autres conditions d’éligibilité du FCTVA soient remplies. Si le bien est exploité dans le cadre d’une activité soumise à la TVA, le FCTVA ne pourra pas jouer : en revanche, la voie fiscale reste possible et la collectivité récupérera alors – comme par le passé – la TVA payée sur l’investissement consenti, directement ou par l’intermédiaire du gestionnaire (procédure de transfert des droits à déduction).
Il ne s’agit, bien entendu, que des biens qui sont utilisés pour une mission de service public ou une activité d’intérêt général, ce qui exigera une relation contractuelle bien définie entre la collectivité et l’association : délégation de service public, marché, convention d’objectif…
A noter également que, selon l’article R. 1615-7 du code général des collectivités territoriales : « … Les immobilisations mentionnées au c de l’article L. 1615-7 doivent être données en gestion à des organismes à but non lucratif qui déclarent répondre aux conditions de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée exposée à l’article 261-7 (1º, b) du code général des impôts. ». Autrement dit, l’État ne doit pas gérer directement les biens mis gracieusement à sa disposition : il lui faut les confier à des associations.
Ce qu’il faut retenir
Les biens mis à la disposition de tiers non éligibles peuvent désormais ouvrir droit aux attributions du FCTVA. Encore faut-il que cette mise à disposition soit faite pour une mission de service public ou d’intérêt général et que l’activité exercée ne relève pas de la TVA commerciale.
Pour les associations, il s’agit d’une bonne nouvelle : elles ne se verront plus opposer ce surcoût financier par les collectivités qui opéreront ainsi plus librement et sur d’autres critères leur choix du mode de gestion des équipements qu’elles financent : par elles-mêmes ou par recours à des tiers.
[1] – JURIS ASSOCIATIONS, n°312 du 1er février 2005 commentant l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 23 septembre 2004, ministère de l’Intérieur, n° 02DA00473.
[2] – CAA Nantes du 26 octobre 2004, 02NT00960 ministère de l’Intérieur c./ commune de la Roche-sur-Yon. ; CE du 27 juillet 2005, n° 247566, ministère de l’Intérieur c./ département du Lot et Garonne.