La note 03 – janvier 1996
OCTROI ET MISE EN JEU DES GARANTIES D’EMPRUNTS CONSENTIES PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Encore trop souvent, et surtout dans le domaine du logement social, les garanties d’emprunts des collectivités territoriales sont présentées voire ressenties comme de simples formalités administratives ne nécessitant que le respect des règles de forme indispensables à la validité de ces engagements. Or de telles décisions comportent des conséquences financières pour la collectivité territoriale garante qui ne peuvent être négligées.
Il n’est donc pas inutile de rappeler les principaux enjeux financiers que comportent les garanties d’emprunts consenties par les collectivités territoriales, tant au stade de leur octroi qu’à celui de leur mise en œuvre.
Les conséquences financières de l’octroi de garanties
La première et la plus importante de ces conséquences financières est la réduction, par l’effet des ratios réglementaires, de la capacité d’endettement et de garantie d’emprunts de la collectivité. L’annuité garantie entre en effet dans le calcul du plafonnement des annuités d’emprunts, souscrits ou garantis, à hauteur de la moitié des recettes réelles de fonctionnement.
Notons à ce sujet que cette notion de recettes réelles de fonctionnement mérite d’être précisée dans le cas où des budgets annexes existent car l’interprétation littérale des textes conduirait alors à ne retenir que les seules recettes du budget principal dont la moitié serait comparée aux annuités des emprunts souscrits ou garantis tant sur le budget principal que sur les budgets annexes. Cette interprétation, peu conforme au bon sens économique, n’est toutefois pas celle de la DGCL.
Il convient également de souligner que si les garanties d’emprunts pour le logement social sont « libres », en ce sens qu’elles peuvent être accordées en l’absence de respect des ratios prudentiels édictés par la réglementation, elles réduisent néanmoins les marges de manoeuvre financière de la collectivité qui les accorde.
La seconde conséquence d’une décision d’octroi de garantie d’emprunts est l’obligation de la collectivité territoriale de fournir une information financière annexée au budget et mis à la disposition du public (ancien article L 212-14 du code des communes, modifié par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République) :
- tableau retraçant l’encours des emprunts garantis ;
- comptes certifiés des emprunteurs recourant à ces garanties.
Les précautions à prendre
Dès lors qu’une garantie d’emprunts est consentie, il est à recommander que des mesures soient prises pour suivre le déroulement des opérations qui en ont bénéficié de façon à prévenir les risques, étant précisé que les moyens de ce suivi existent.
Le suivi des risques nés des garanties d’emprunts accordées constitue une nécessité pour les collectivités territoriales et cela d’autant plus à une époque de récession économique qui enregistre leur mise en oeuvre toujours plus fréquemment. Ce travail indispensable justifie la mise en place d’un ensemble de procédures, au sein des services de la collectivité, lui permettant d’assurer la surveillance :
– de la correcte affectation et de la bonne utilisation des fonds prêtés et garantis ;
– des conditions de déroulement de l’opération ainsi financée, tant au cours de sa phase d’investissement qu’au cours de sa gestion.
Les moyens d’actions de la collectivité territoriale pour suivre les opérations qui ont bénéficié de sa garantie d’emprunts sont nombreux :
– il s’agit, en premier lieu, de la faculté dont elle dispose de n’accorder sa garantie que dans le cadre d’une convention fixant les obligations des parties intéressées ;
– il s’agit également d’un ensemble d’informations sur l’opération ainsi financée que la collectivité territoriale reçoit périodiquement, qu’elle se doit d’examiner attentivement et qu’elle peut avoir la faculté de faire vérifier ; notons, parmi ces informations financières :
. le compte rendu financier à la collectivité territoriale que les SEML produisent annuellement pour les opérations immobilières ou d’aménagement qu’elles réalisent dans le cadre des conventions conclues ;
. les comptes annuels des services publics dont la gestion est déléguée à des entreprises ;
étant précisé que ces documents sont, le cas échéant, à annexer aux budgets et comptes administratifs des collectivités territoriales concernées ;
– il s’agit enfin de sa présence, s’agissant de société d’économie mixte locales, au sein des organes de cette société :
. en assemblée générale et éventuellement au conseil d’administration si elle a la qualité d’actionnaire (sauf cas où une assemblée générale spéciale existe pour regrouper les collectivités territoriales détenant moins d’un 18° du capital chacune) ;
. au conseil d’administration si elle a seulement la qualité de garante des financements mobilisés.
La question des récompenses des garanties d’emprunts
Les SEML sont accoutumées à conclure avec les collectivités territoriales qui garantissent les financements qu’elles mobilisent pour réaliser des opérations de construction de logements, des conventions de dévolution du patrimoine dont l’objet est de fournir à ces collectivités une récompense pour les garanties accordées sous la forme de remise de tout ou partie des logements ainsi financés.
La circulaire interministérielle du 24 février 1994 rappelle que la rémunération des garanties d’emprunts constitue une opération de crédit, au sens de la loi bancaire, que les collectivités territoriales ne peuvent effectuer à titre habituel. Sans vouloir entrer dans un débat juridique difficile, plusieurs constatations peuvent être effectuées concernant ce sujet, qui sont résumées ci-après.
En premier lieu, il convient de souligner que cette pratique de la dévolution du patrimoine en récompense des garanties d’emprunts pour le logement constitue une particularité des SEML. Les organismes d’HLM recourent dans des proportions bien plus importantes aux garanties d’emprunts des collectivités territoriales pour leurs opérations sans pour autant utiliser cette technique. Mais il faut aussi noter que le patrimoine de ces organismes est composé de biens de « main morte » en ce qu’il est difficilement aliénable. Cette réserve quant à la capacité de disposer de leurs biens immobiliers, qui ont pour une très grande part été financés avec des fonds aidés, constitue ainsi une sécurité dans l’affectation des fonds publics servant au financement du logement. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’en 1966, une circulaire est intervenue pour réglementer les récompenses des garanties d’emprunts consenties aux SEML, l’argument a été avancé que la remise aux collectivités territoriales d’immeubles financés par des fonds aidés permettait une affectation définitive de cette aide a secteur public.
En second lieu, il convient d’observer que la circulaire du 17 mai 1966 qui traitait de la dévolution du patrimoine des SEML, ne plaçait nullement la récompense des garanties d’emprunts sur le terrain d’une rémunération du service rendu mais sur celui du partage de l’actif social de la SEML dont la collectivité garante était actionnaire. Bien évidemment, une telle argumentation suppose :
– que la collectivité territoriale soit actionnaire de la SEML ;
– et que la répartition de l’actif social selon une proportion différente de celle du capital social constitue une véritable opération de partage, c’est-à-dire qu’elle recueille l’unanimité des actionnaires.
La procédure de mise en jeu de la garantie d’emprunts
La pratique des collectivités territoriales permet de distinguer deux catégories de procédures de mise en jeu des garanties d’emprunts qu’elles ont consenties.
La première, et sans doute la plus répandue, peut être qualifiée de consensuelle en ce sens qu’elle n’aboutit pas à des contentieux, sources de jurisprudence. Dans ce cas, un accord est trouvé entre le garant, le prêteur et l’emprunteur pour définir les modalités pratiques de désintéressement du prêteur ainsi que pour statuer sur le sort de l’opération qui a été financée en recourant à une garantie d’emprunts. Les exemples de telles procédures sont nombreux et l’on peut considérer que le peu d’échos qu’elles produisent sont le signe de leur efficacité.
Mais il arrive aussi, et la jurisprudence en témoigne, qu’aucun accord ne peut être trouvé et la mise en jeu de la garantie d’emprunts s’inscrit alors dans un contexte conflictuel. La procédure utilisée est celle que la réglementation prévoit. Les principales étapes de cette procédure sont les suivantes :
– il convient, dans un premier temps de confirmer le caractère exigible de la dette de la collectivité territoriale dont la garantie d’emprunts est mise en jeu ;
le cas échéant, une telle constatation peut être matière à procès qui se déroule alors devant le juge judiciaire ;
– une fois la créance du prêteur exigible, la procédure d’inscription de la dépense obligatoire correspondante peut commencer :
. tout intéressé peut saisir la chambre régionale des comptes qui dispose d’un mois pour se prononcer et mettre en demeure la collectivité territoriale concernée de réaliser l’inscription budgétaire ;
. à défaut de réponse sous un mois de la mise en demeure, la chambre régionale des comptes saisit le préfet pour qu’il procède à l’inscription d’office de la dépense obligatoire ;
– le mandatement d’une dépense obligatoire peut être effectué par le préfet, à défaut de l’avoir été par le maire dans le mois de la mise en demeure que celui-ci lui aurait adressée.
Il convient de noter que l’usage de l’ensemble des procédures disponibles permet, à raison des délais qu’elles comportent et des recours possibles, de différer la mise en jeu effective de la garantie de la collectivité territoriale, ce qui ne constitue en rien une circonstance favorable au traitement des difficultés économiques et financières que le projet ou l’opération en cause connaît.
Les conséquences de la mise en jeu de la garantie d’emprunt
Il convient de souligner, qu’au moment de la mise en jeu de sa garantie, la collectivité dispose d’un choix entre le paiement des annuités impayées et le complet remboursement des crédits garantis. Notons que ce choix ne peut être remis en cause par une quelconque stipulation de l’engagement de garantie ainsi que cela ressort des termes mêmes de la loi (article 6 de la loi du 2 mars 1982 , alinéa 6 dans sa rédaction issue de la loi du 5 janvier 1988).
Cette option importante mérite d’être, dans le cas de mise en jeu de la garantie accordée, examinée dans toutes ses conséquences de façon à permettre la meilleure décision : c’est ainsi que l’on peut supposer, en période de taux faibles, que l’intérêt du garant sera de se dégager d’engagements sur des crédits comportant des taux plus élevés.
Sur le plan financier, la mise en jeu effective d’une garantie d’emprunts comporte une double conséquence pour la collectivité territoriale :
– sur le plan budgétaire, le désintéressement du prêteur suppose une contrepartie qui peut être soit l’ouverture de ressources, soit encore la diminution des emplois précédemment inscrits ;
bien évidemment, une délibération de l’organe souverain de la collectivité territoriale est alors nécessaire pour effectuer les inscriptions budgétaires qui s’imposent ;
– sur le plan comptable, le versement de l’avance requière la mobilisation de ressources de trésorerie qui sont affectées à cet usage ;
l’inscription à laquelle il convient de procéder consiste en la constatation d’une avance consentie à l’emprunteur.
Dès lors que le prêteur est désintéressé, la question se pose de définir les modalités juridiques et financières de l’avance ainsi consentie à l’emprunteur. Certes, la collectivité est alors substituée dans les droits du prêteur pour ce qui concerne la créance détenue. Bien qu’à notre connaissance la question n’ait pas encore été traitée, il est possible de s’interroger sur la faculté de la collectivité territoriale d’appliquer à l’avance consentie les conditions de rémunération prévues au contrat principal. Cette question est à mettre au regard :
– de la loi bancaire qui réserve aux seuls établissement de crédit la possibilité de réaliser des opérations de banque dont les crédits rémunérés font partie ;
notons toutefois que la loi bancaire autorise les opérations de banque effectuées de façon autre qu’habituelle par toute personne ;
sans doute les circonstances d’une mise en jeu de la garantie d’emprunts d’une collectivité territoriale est-elle susceptible d’entrer dans une telle prescription ;
– de la réglementation des aides directes des collectivités territoriales aux entreprises ;
s’il est clair que les garanties d’emprunts consenties par les collectivités territoriales constituent des aides indirectes que la loi autorise expressément, en revanche, les textes manquent de précision pour ce qui concerne les fonds versés par application de ces garanties : sur le plan financier, l’avance découlant d’une mise en oeuvre d’une garantie d’emprunt est bien représentative d’une aide directe, surtout si elle ne comporte aucune rémunération ;
néanmoins, les circonstances de son versement rendent sans doute difficile d’argumenter l’existence d’une volonté de consentir une telle aide directe.
La dation en paiement
Dans certains cas, les fonds qui ont servis au dédommagement des prêteurs peuvent être remboursés, non pas en numéraire, mais au moyen de la remise de biens et droits, notamment immobiliers. Il convient d’ailleurs de noter que certaines collectivités territoriales prévoient, dans les conditions des garanties des emprunts qu’elles accordent, de semblables mécanismes de protection de leurs intérêts.
Dans une telle hypothèse, la situation de la collectivité territoriale est, au plan économique, la suivante :
– elle enregistre une entrée dans son domaine d’un bien ou d’un droit immobilier ;
– la créance précédemment constatée à raison des fonds versés est éteinte.
Une telle pratique doit être considérée comme une opération d’ordre budgétaire pour ce qui concerne les inscriptions à effectuer dans la section d’investissement. En d’autres termes, les moyens budgétaires sont à dégager lors du paiement effectué au titre de la mise en jeu de la garantie et le remboursement de l’avance par dation en paiement ne procure aucune ressource budgétaire.
La transformation en subvention
Le cas doit être envisagé d’une avance consentie par la collectivité territoriale par mise en oeuvre de sa garantie d’emprunts qui ne comporte pas de remboursement, que cette constatation soit effectuée au moment même du versement des fonds ou bien encore après. Dans une telle hypothèse, outre la question déjà évoquée de la légalité de l’aide directe qui serait ainsi consentie, se posera celle du traitement fiscal de la subvention accordée au regard de la TVA.
Il faut noter qu’en matière d’opérations d’aménagement concédées dont la collectivité territoriale assume seule le risque financier, la mise en jeu de garantie d’emprunts et le versement de fonds correspondant s’analysera très vraisemblablement en participation à l’équilibre du bilan, participation pleinement passible de la TVA depuis 1988. La conséquence de cette analyse est que, pour une opération d’aménagement dont le service de la dette ne peut être assuré, la collectivité garante pourra être amenée à payer :
– d’une part les annuités impayées par l’emprunteur ;
– d’autre part la TVA calculée sur ces annuités impayées dès lors que ce mouvement de fonds sera considéré, du point de vue fiscal, comme une participation à l’équilibre du bilan de l’opération d’aménagement ;
il convient toutefois de noter que de telles participations, taxées à la TVA selon le droit commun fiscal, sont éligibles au fonds de compensation dans la mesure où elle ont, pour contrepartie, l’entrée dans le domaine de la collectivité territoriale de biens immobilisés.
Compte tenu des circonstances économiques de l’aménagement depuis quelques années, il convient de recommander, sur ces questions fiscales, la plus grande attention.
En conclusion, il faut reconnaître que les collectivités territoriales disposent de véritables moyens pour gérer les garanties d’emprunts qu’elles sont amenées à consentir : pour autant, force est souvent de constater que leur mise en œuvre est plus rare dans la pratique alors même que l’on constate une montée des risques…