La note 26 – février 2001
Introduction
La présente note a pour objet de faire le point du régime fiscal de faveur régissant les opérations de fusion et d’examiner leur application au cas de l’absorption d’une SEML par une SA d’HLM.
LA FISCALITÉ
La définition des opérations de fusion éligibles au régime de faveur
Si des dispositions fiscales de faveur existent en matière de regroupement de sociétés, encore faut-il qu’il s’agisse d’une fusion, au sens de la réglementation fiscale.
La fusion
Une fusion est l’opération régie par la loi sur les sociétés commerciales par laquelle deux sociétés se réunissent pour n’en former qu’une seule. Elle peut être réalisée :
– au moyen de la création d’une société nouvelle,
– par l’absorption d’une société par une autre.
La loi sur les sociétés commerciales décrit en termes généraux les effets de la fusion :
‑ la fusion entraîne la dissolution sans liquidation de la société qui disparaît et la transmission universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire des apports,
‑ simultanément, les associés de la société qui disparaît acquièrent la qualité d’associés de la société absorbante ou nouvelle, selon les conditions fixées par le contrat de fusion. Les associés de la société qui disparaît sont ainsi, pour reprendre l’exigence fiscale, rémunérés de l’apport consenti par échange de droits sociaux.
Entre sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés
Dès lors que la fusion touche des sociétés – ou même des entreprises – passibles de l’impôt sur les sociétés, elle est admise au régime fiscal de faveur.
Sont à considérer comme étant passibles de l’impôt sur les sociétés, les personnes morales visées à l’article 206 du code général des impôts, c’est-à-dire celles :
– soumises de plein droit à cet impôt comme les sociétés anonymes, à responsabilité limitée… ainsi que les associations qui relèvent d’un impôt sur les sociétés adapté ou qui ont une gestion qui n’est pas désintéressée…
– ou qui ont opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux comme, par exemple, les sociétés en nom collectif,
– qui ne paient pas cet impôt parce qu’elles en sont exonérées au titre des articles 207 à 208 sexies du code général des impôts ; sont notamment visées à ce titre les SA d’HLM qui sont exonérées d’impôt sur les sociétés (article 207-1-4°) sur toute leur activité et les SEML qui sont normalement soumises à cet impôt sauf pour les résultats de certaines de leurs opérations (articles 207-1-6° bis et 207-1-7°).
Application au cas étudié
De cette analyse, il ressort que la fusion envisagée consistant en l’absorption d’une SEML par une SA d’HLM serait admise au régime de faveur des fusions.
Il convient toutefois d’examiner de façon plus approfondie le contenu de ce régime en matières tant de droits d’enregistrement que d’impôt sur les sociétés ainsi que les difficultés particulières que soulève une telle opération.
Les droits d’enregistrement
Aux termes de l’article 816 du code général des impôts, les opérations de fusion sont enregistrées moyennant la perception d’un droit fixe qui est actuellement de F. 1.500. Les seules conditions fixées par la réglementation sont relatives à la définition de l’opération de fusion, telle qu’exposée ci-dessus.
Pour le cas envisagé de l’absorption d’une SEML par une SA d’HLM, il relève pleinement de ce régime sans qu’il soit utile de fournir d’arguments supplémentaires.
L’impôt sur les sociétés
Le principe général est celui de la neutralité fiscale des fusions au regard de l’impôt sur les sociétés.
Au cas particulier de l’absorption d’une SEML par une SA d’HLM, certaines difficultés existent dont la compréhension suppose un rappel du mécanisme retenu pour assurer cette neutralité fiscale.
Rappel du mécanisme du régime de faveur
En matière d’imposition du résultat, le régime de faveur prévu à l’article 210 A du code général des impôts se traduit, pour la société absorbée, par l’exonération des plus‑values de fusion. Cette exonération n’est possible qu’en contrepartie de l’engagement de la société absorbante :
– de reprendre au passif de son bilan les provisions dont l’imposition est différée ainsi que la réserve spéciale de plus‑values à long terme,
– de calculer, en cas de cession des éléments non amortissables apportés lors de la fusion, les plus‑values sur la base de leur valeur d’origine au bilan de la société absorbée,
– de réintégrer dans ses bénéfices imposables au taux de droit commun les plus‑values sur éléments amortissables, étant précisé que l’amortissement de ces plus-values peut être pratiqué et déduit des résultats taxables.
En d’autres termes, la neutralité fiscale de la fusion revient à exonérer la société absorbée d’impôt au titre des plus-values dégagées lors de la fusion et à en transférer la charge sur la société absorbante.
L’absorption d’une société payant l’impôt par une société ne le payant pas
L’absorption d’une SEML par une SA d’HLM dégageant des plus-values remettrait en cause l’économie même du régime de faveur des fusions. C’est en effet que les plus-values risqueraient d’échapper à l’impôt sur les sociétés : parce que la SEML ne paierait rien à ce titre à raison des dispositions du régime de faveur et parce que la SA d’HLM est exonérée d’impôt sur les sociétés[1].
Mais encore faut-il que ces plus-values soient dégagées au moment de la fusion. Or si l’on procède à des apports estimés pour leur valeur comptable, la question ne se pose pas.
La réglementation fiscale pose le principe que les apports de la société absorbée à la société absorbante sont faits pour leur valeur réelle.
Toutefois, il est admis que ces apports soient consentis pour leur valeur comptable dès lors que les conditions suivantes sont réunies[2] :
– les apports restent soumis au régime de faveur des fusions,
– l’absorbante reprend dans son bilan les écritures comptables de l’absorbée (valeur d’origine, amortissements…).
Selon la recommandation de l’Ordre des experts-comptables n° 1‑14 de novembre 1983 (elle est discutée depuis plusieurs années mais existe toujours) les apports sont à réaliser :
‑ à la valeur comptable dans le cas de fusions d’entreprises qui procèdent soit d’une restructuration interne soit d’une association d’intérêts réalisée par fusion‑absorption,
– à une valeur globale dans les cas d’associations d’intérêts effectuées par création d’une société nouvelle et d’acquisition ou de prise de contrôle.
Ce texte précise que les restructurations internes sont caractérisées par l’absence de modification du pouvoir de contrôle et par la continuité des entités nouvelles qui résultent de la fusion. Les associations d’intérêts sont les opérations qui « aboutissent à la création d’entités nouvelles (sur le plan économique) qui, tout en étant dans la continuité des entités anciennes, n’en marquent pas moins un nouveau point de départ ».
La solution qui consiste à réaliser les apports pour leur valeur comptable peut être, selon le cas d’espèce, celle recommandée par la règle comptable ; elle est aussi admise par la réglementation fiscale. Elle permet donc de contourner la difficulté soulevée.
Conclusion
La solution qui consiste à réaliser l’absorption d’une SEML par une SA d’HLM en retenant des apports consentis pour leur valeur comptable devrait permettre de bénéficier du régime fiscal de faveur prévu pour ces opérations.
LA RÉGLEMENTATION PARTICULIÈRE
L’évaluation des sociétés
L’évaluation des SA d’HLM
Le code de la construction et de l’habitation fixe des règles précises à prendre en compte pour l’évaluation d’une société d’HLM, du point de vue de ses actionnaires. Sans entrer dans le détail des mesures édictées (et notamment l’article L 422-11), les actionnaires ne peuvent récupérer, en fin de société, qu’une fois et demi le nominal du capital social ; le surplus de l’actif est obligatoirement transféré à un autre organisme d’HLM.
En application de ces textes, la valeur d’une action d’une SA d’HLM comporte un plafond qui est d’une fois et demi son nominal. Mais il s’agit bien là seulement d’un plafond.
Encore faut-il – et l’on rejoint ici les principes de droit commun – que des réserves existent qui fondent cette valeur. En d’autres termes, si la société à une exploitation et des perspectives déficitaires, il est peu probable que l’on puisse parvenir à ce plafond. En conséquence, l’analyse financière d’une SA d’HLM ne présente d’intérêt que pour s’assurer que le capital nominal (éventuellement majoré de moitié) comporte une contrepartie réelle.
L’évaluation des SEML immobilières
Les SEML dont l’activité consiste en la construction et la gestion de logements sociaux – activité en tout point comparable à celle des SA d’HLM – n’obéissent pas aux règles d’évaluation du monde HLM. À leur dissolution, les actionnaires ont normalement vocation à se voir attribuer l’actif net à proportion de leur participation au capital.
La valeur des actions d’une SEML est ainsi à mesurer en faisant application des principes et règles habituels en matière commerciale. Une particularité existe cependant qui porte sur la notion même de valeur vénale d’un logement social puisqu’il s’agit là d’un marché et d’un produit strictement réglementés.
Les effets sur la fusion envisagée
L’application de la règle HLM
Si l’on fait une stricte application des règles d’évaluation, telles qu’exposées plus haut, au cas d’une fusion par absorption d’une SEML par une SA d’HLM, l’on est nécessairement conduit à recommander une valeur réelle d’apport.
C’est qu’il est possible que la valeur de la SEML soit supérieure à celle de la SA d’HLM, et cela dans des proportions considérables. Si les actionnaires de la SEML veulent obtenir une juste contrepartie de leur apport, ils devront être rémunérés par un capital nominal de la SA d’HLM d’au moins les deux tiers de cette valeur. Et, très probablement, le seul moyen pour y parvenir serait que les apports soient consentis pour leur valeur réelle, dès lors que la valeur de la SEML excède son actif net comptable.
Si tel est le cas, il est manifeste – sous réserve que le patrimoine de la SEML recèle des plus-values – que le mécanisme du régime de faveur des fusions en matière d’impôt sur les sociétés ne pourra jouer : la SA d’HLM ne disposant pas de résultat fiscal[3], elle ne pourrait procéder aux réintégrations requises.
La stricte application des règles du code de la construction et de l’habitation fait ainsi obstacle à une argumentation efficace pour valider la mise en œuvre du régime fiscal de faveur des fusions en matière d’impôt sur les sociétés.
Les contraintes d’un apport à la valeur comptable
En présence de plus-values sur le patrimoine de la SEML conduisant à une valeur très supérieure à celle, réglementaire, de la SA d’HLM, une solution est possible pour argumenter des apports à la valeur comptable. Elle consiste à :
séparer nettement valeur d’apport et valeur pour la parité d’échange, ce qui est admis par le droit,
se placer du seul point de vue des sociétés pour l’évaluation de la parité d’échange et non pas du point de vue de leurs actionnaires,
estimer les sociétés selon les principes applicables au logement social,
consentir les apports pour leur valeur comptable.
Dans cette solution, les actionnaires de la SEML renonceraient à faire valoir leurs droits sur la valeur qu’ils détiennent : ils consentiraient, en quelque sorte, une libéralité à la SA d’HLM et, plus généralement, au monde HLM. Si une telle action est toujours possible, il est cependant douteux qu’elle s’inscrive pleinement dans le mécanisme financier des fusions. À ce titre, l’administration pourrait apporter des critiques fondées et en tirer les conséquences.
Conclusion
Dans l’hypothèse d’une fusion par absorption d’une SEML par une SA d’HLM, le mécanisme des fusions (l’échange des actions) rend peu envisageable de consentir des apports à leur valeur comptable si l’on veut véritablement assurer une réelle équité de traitement des actionnaires.
Mais l’économie du régime fiscal de faveur des fusions ne peut être argumentée au cas envisagé que si les apports sont consentis pour cette même valeur comptable.
Il en découle des difficultés sérieuses pour recommander, avec la sécurité requise, de procéder par absorption directe d’une SEML par une SA d’HLM.
PISTES DE SOLUTIONS
L’évaluation de la SEML
La première question qu’il convient de se poser dans un tel cas est de connaître la valeur réelle de la SEML compte tenu du patrimoine existant et des perspectives d’exploitation.
C’est seulement à l’issue de cette étape que l’on pourra s’interroger valablement sur d’éventuelles plus-values que recèlerait cette société. Bien entendu, cette évaluation devra être menée en considérant les particularités du logement social.
Elle pourrait aussi être faite en se plaçant dans l’optique d’une cession massive des actions de la société. Si le prix de vente des actions de la SEML est convenu entre les vendeur et acheteur, l’on peut raisonnablement supposer qu’il tient compte de la valeur réelle des immeubles comme des perspectives de leur exploitation.
Le rachat des actions suivi de la fusion
Dans la mesure où le prix des actions de la SEML, tel qu’il découlerait des travaux d’évaluation décrits ci-dessus, sera équivalent à la valeur comptable de la société, un schéma de regroupement avec la SA d’HLM peut être envisagé.
Il s’agirait, dans un premier temps, que la SA d’HLM procède à l’achat de la totalité des actions de la SEML.
Dans un second temps, la SEML serait intégrée à la SA d’HLM en procédant à une fusion simplifiée.
Si le prix des actions correspond à la valeur comptable de la société, l’on pourrait alors argumenter l’application du régime de faveur en matière d’impôt sur les sociétés.
L’inconvénient de ce schéma serait, bien entendu, une sortie de trésorerie de la SA d’HLM en direction des actionnaires de la SEML. Mais cet inconvénient peut être supprimé si ceux-ci consentent à souscrire à une augmentation de capital de la SA d’HLM d’un montant voisin ou égal. Bien entendu, pour les actionnaires de la SEML fiscalisés, il faudra, peut-être, tenir compte du coût que comporte pour eux cette opération.
[1] : voir à ce sujet la documentation de base de Francis Lefebvre IS-VI, 2470 qui fait renvoi à D. adm. 4I-122, n° 4, 1er novembre 1995.
[2] : voir IS-VI, 3130 qui se réfère à l’instruction du 11 août 1993, 4I-1-93, n° 32 et à la documentation administrative 4I-1242, n° 7, 1er novembre 1995.
[3] : sous réserve de l’application de la jurisprudence « 3F » qui a conclu à la taxation d’une SA d’HLM pour une opération « non conforme aux dispositions du code de la construction et de l’habitation » ; sur ce fondement, l’on pourrait envisager la création d’un secteur taxable. Mais il ne s’agit là que d’une piste de réflexion qui devrait être auparavant transposée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.