La note 58 – septembre 2006
L’instruction du 16 juin 2006 « 3 A-7-06 » est relativement courte : deux pages de développement pour reprendre les principes et les illustrer par des applications. Cette brièveté n’est pas le signe – tant s’en faut – du caractère anodin du contenu. Plus précisément, les commentaires de l’administration sur la notion de subvention « complément de prix » apportent quelques bouleversements. Et, avec l’évolution récente de la jurisprudence, notamment européenne, quelques questions surgissent qui sont loin d’être négligeables.
Un jeu à trois
Pour qu’un principe soit compréhensible, il suffit de l’énoncer clairement : l’instruction n’y manque pas. Mais… l’on découvre, à cette occasion, que ce qui va sans dire n’était ni évident ni appliqué. Pour qu’il y ait une subvention « complément de prix », trois acteurs doivent être présents : celui qui verse la subvention, celui qui l’encaisse et celui qui paie un prix. Si celui qui verse et celui qui encaisse la subvention se confondent en une seule et même personne, l’on ne peut concevoir une subvention. Et pourtant : jusqu’à présent, les « virements internes » d’une collectivité territoriale pouvaient être soumis à la TVA, par extension de cette notion de « subvention, complément de prix ». Rappelons le sujet : une collectivité publique exerce plusieurs activités et, pour certaines d’entre elles, doit tenir des comptes distincts (la notion de budget annexe). Bien entendu, certaines de ces activités (l’eau, les transports…) ne sont pas exclusivement financées par les « clients » (pardon : « les usagers ») : les contribuables y mettent leur obole. Et la manifestation de cette réalité est le « virement interne » du budget général de la collectivité organisatrice au budget annexe de l’activité. Autrement dit, si l’on écarte le recours à la notion du financement du service par l’usager ou le contribuable, l’on constate que la collectivité ne parvient pas à équilibrer les comptes de l’activité concernée et qu’elle en supporte les pertes. Le principe général, pour toutes les entreprises, est que l’existence d’une perte est sans effet sur la TVA payée. Tel n’était pas le cas, jusqu’à l’instruction de juin dernier, pour les collectivités dans cette situation. Si le virement interne n’était pas soumis à la TVA, il venait augmenter le dénominateur du prorata de déduction de l’activité. Et pourtant, la jurisprudence avait déjà eu l’occasion de statuer pour énoncer qu’une ventilation analytique des résultats par activité au sein d’une entreprise ne comportait pas d’effet sur la TVA[1].
La subvention doit compléter le prix
Le deuxième principe énoncé est celui qui consiste à établir un lien de causalité entre la subvention et la diminution du prix qui est pratiquée. C’est la notion qui est retenue dans la directive européenne, à l’article 11 A 1-a, de « subventions directement liées au prix des opérations ». Sur ce point particulier, l’instruction s’aligne sur la jurisprudence européenne et revient sur la doctrine précédente de l’administration.
C’est ainsi que sont désormais exclues de la définition de « complément de prix », les subventions de fonctionnement ou d’équilibre qui, de ce fait, peuvent échapper à la TVA. Dans la mesure où il s’agit de subventions qui financent une entreprise, en tout ou partie, l’on ne considérera plus que la réduction des frais généraux effectivement supportés à cette occasion constitue un complément de prix.
Il est intéressant de noter que l’instruction précise que les subventions d’investissement ne relèvent pas de la notion permettant leur assujettissement à la TVA. Sur le plan économique, l’on peut parfaitement considérer que la subvention d’investissement vise à réduire le prix pratiqué et, de ce fait probablement, l’administration avait introduit la condition financière qui exigeait, pour que la TVA sur l’investissement soit récupérable, que le coût de l’investissement soit répercuté dans les tarifs, c’est-à-dire le prix. Mais l’on sait aussi que la jurisprudence européenne a mis le holà et que l’administration s’est alignée sur l’injonction reçue en ce domaine[2]. Au regard des règles fixées par l’Europe, le lien direct entre la subvention et le prix n’est pas qualifié dans une telle situation.
Il est tout aussi intéressant de noter les précisions apportées au sujet des subventions relatives aux opérations d’aménagement qui ne seront plus soumises à la TVA, pour les mêmes raisons : leur caractère global ne satisfait pas à l’exigence d’un lien direct avec le prix.
Le prix en est affecté
Peut-on parler de complément de prix lorsque le prix pratiqué est celui du marché ? La réponse apportée par l’administration est non. L’on peut parfaitement concevoir qu’un agent économique reçoive une subvention qui complète ses ressources mais, dans la mesure où le prix qu’il pratique est celui du marché, l’on n’aura pas affaire à une subvention « complément de prix ». L’on se trouverait plutôt dans le cas d’une subvention globale de fonctionnement. L’exemple des subventions dans le secteur agricole qui est donné dans l’instruction est très significatif à cet égard : les aides versées ne modifient pas tant le prix des produit qui reste fixé par le marché (si l’on admet ce raisonnement) qu’elles ne constituent un complément de ressources ou de revenus des agents économiques ; l’on assiste ici à un déplacement des notions utilisées jusqu’alors. L’aboutissement du raisonnement est que la TVA doit frapper le prix du produit, s’il correspond à celui du marché et le fait d’imposer la subvention, même « complément de prix » amènerait tout naturellement à, pour reprendre l’expression de l’instruction, une surtaxation.
Bien entendu, la chose est délicate à apprécier en l’absence de marché : comment déterminer le prix est « normal » ? Ici l’administration retient le coût de revient du produit ou de la prestation. En l’absence de marché, il sera considéré que la vente au coût de revient écarte la TVA sur la subvention perçue. Cette solution de bon sens ouvrira probablement la voie à toute une série de dispositions que les entreprises pourront prendre et à des contentieux tant il est vrai que l’évaluation d’un coût de revient relève assurément de la science comptable à titre principal mais aussi, même si ce n’est qu’accessoirement, de l’art… Autrement dit, les entreprises auront tout intérêt, lorsqu’elles perçoivent des subventions, à calculer soigneusement les coûts de revient de leurs produits et prestations.
Quelles évolutions possibles ?
Si la détermination des subventions « compléments de prix » est désormais plus conforme à l’esprit de la réglementation européenne, il ne faut pas en déduire que tout le chemin est parcouru. C’est qu’il n’est, pour l’heure, question que de la soumission à la TVA de ces subventions et l’Europe pose les principes de façon assez simple : si la subvention correspond au prix d’une marchandise achetée, à titre principal (son versement comporte, en contrepartie, la livraison d’un bien ou d’un service) ou accessoire (complément de prix), elle entre normalement dans le champ d’application de la TVA (si, lorsqu’il s’agit d’un complément de prix, le prix principal est lui-même soumis à cette taxe). L’on est en présence d’une position de bon sens : ce n’est pas parce que l’appelle subvention que la somme versée n’est pas un prix. Autrement dit, le nom transcrit une réalité sans la créer.
S’il s’agit vraiment d’une subvention, c’est-à-dire d’un cadeau ou d’une aide (publique, la plupart du temps), il est alors considéré qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de la TVA. L’idée est simple et elle connue de l’administration française : le secteur marchand ne connaît pas les cadeaux, sauf ceux en provenance de la puissance publique, pour des raisons d’intérêt général.
Dans le cas où la subvention vient financer une activité qui est placée « hors du champ » d’application de la TVA, l’on sait qu’elle ne supportera pas la TVA et que la TVA qui a grevé les dépenses exposées n’est pas récupérable. Dans ce cas de figure, la subvention paye ou est censée payer de la TVA. C’est que l’on aura alors fait la démarche consistant à constater : 1er que l’on est dans une activité « hors champ » ; 2ième que la subvention ne paye pas la TVA et, 3ième que la TVA sur les dépenses n’est pas récupérable.
Mais si la subvention vient financer une activité « dans le champ » d’application de la TVA, les choses deviennent plus compliquées. En première étape, l’on constatera que la subvention n’est pas soumise à la TVA. Il faudra ensuite s’interroger sur le sort de la TVA qui a grevé les dépenses.
- L’arrêt de la CJCE, n° 204/03 du 6 octobre 2005 a introduit une brèche dans le dispositif réglementaire français qui se fera probablement jour progressivement. La position de cet arrêt est de considérer comme abusive une réglementation nationale qui impose d’inscrire au dénominateur du prorata de déduction les subventions « hors champ » perçues par des redevables totaux à la TVA. Une telle limitation ne serait possible que pour les redevables partiels, c’est-à-dire les personnes qui réalisent des opérations « dans le champ » de la TVA et qui en sont ou non exonérées.
- Pour compléter le tableau qu’il faut brosser avant d’aborder le vif du sujet, il est rappelé que le prorata de déduction ne vise que les dépenses exposées pour réaliser des opérations « dans le champ » dont certaines ouvrent droit à déduction et d’autres non.
- Dans le cas d’un redevable total de la TVA, la solution, pour le bénéficiaire d’une subvention « hors champ », est nette quoique nouvelle : 1er l’on est bien dans une activité « dans le champ » ; 2ième la subvention ne paie pas la TVA et, 3ième la TVA sur les dépenses de toutes natures peut être récupérée sans limitation.
- Mais il faut aussi envisager le cas d’un redevable partiel qui a constitué des secteurs distincts d’activité et qui reçoit une subvention « hors champ » pour une activité particulière. L’on peut parfaitement, en se reportant à l’instruction du 16 juin dernier, prendre le cas d’une subvention à une opération d’aménagement[3].
- De façon tout à fait normale, la subvention se rapportant à l’opération, elle sera comprise parmi ses produits. L’on pourrait alors considérer, pour ce secteur, que la décision européenne précitée peut lui être étendue : le prorata de cette opération ne serait pas calculé avec la subvention au dénominateur. Ce serait étendre la notion de redevable total utilisé par la cour européenne aux secteurs distincts d’activité.
- Dans une telle optique, le seul prorata affecté, à son dénominateur, par la subvention « hors champ » reçue sera celui calculé en vue d’estimer la récupération de la TVA sur les frais de fonctionnement de l’entreprise.
Même sur ce point, l’on pourrait utiliser la notion de « frais généraux » introduite par la CJCE[4] et considérer que la subvention perçue ne peut comporter de limitation de la récupération de la TVA sur les frais de fonctionnement. La logique de l’argumentation est évidente : la subvention finance une opération sans réduire ses droits à déduction et l’on voit mal pourquoi il faudrait diminuer la récupération de la TVA sur les frais de fonctionnement !
L’on se trouverait alors dans la même situation qu’un redevable total face à l’Europe, sauf que l’on se placerait du point de vue du secteur distinct d’activité qu’est l’opération d’aménagement. Et la subvention qui aura échappé à la TVA ne comportera, de ce fait, aucune restriction pour l’exercice des droits à déduction de la TVA grevant les dépenses de l’entreprise. L’on aboutirait alors au respect du principe de la parfaite neutralité, au regard de la TVA, des aides publiques qui sont, au demeurant, largement encadrées par la réglementation européenne. Cette solution présenterait l’avantage de simplifier la vie et d’éviter des flux en sens inverse qui donnent furieusement l’impression que la puissance publique tente toujours de reprendre d’une main ce qu’elle a donné d’une autre…
Si l’on retient la position actuelle de la France, telle qu’exposée dans les textes en vigueur, et pour reprendre le même exemple, les prorata propre à l’opération et relatif aux frais généraux seront calculés en incluant au dénominateur la subvention « hors champ » reçue. En d’autres termes, la subvention « hors champ » comportera une perte des droits à déductions de la TVA d’amont, tant pour l’opération d’aménagement que pour les frais de fonctionnement.
Ce qu’il faut retenir
L’instruction du 16 juin 2006 aligne la définition des subventions « compléments de prix » sur les évolutions jurisprudentielles européennes. Pour que la subvention soit taxable, il faut réunir trois conditions : que trois personnes interviennent (celle qui paie, celle qui encaisse et le consommateur), ce qui exclut désormais les virements internes ; qu’un lien direct existe entre la subvention versée et le prix pratiqué, ce qui écarte les subventions globales de fonctionnement ou d’équilibre ; que le prix soit inférieur à celui du marché ou, en l’absence de marché, à son coût de revient, de façon à éviter une surtaxation.
Si l’on sait mieux ce qu’est une subvention « complément de prix », l’on reste cependant toujours dans la même situation pour ce qui concerne toutes les subventions qui sont placées « hors champ » de la TVA et qui occasionne des pertes de droits à déduction. Et pourtant, la jurisprudence européenne semble évoluer pour rendre aux subventions leur caractère d’aide et, comme telle, leur donner une plus grande neutralité fiscale. Il reste à attendre l’Europe en France.
[1] – En ce sens : CE 9 janvier 1981, n° 10145, Sté Timex corporation pour l’absence de soumission à la TVA d’un financement du siège d’une entreprise à un de ses établissements et TA Lyon du 12 mars 2002, n° 98-1074 CCI d’Aubenas, pour l’inutilité d’un calcul de prorata de déduction à une activité financée par un virement interne.
[2] – Voir, à ce sujet, l’instruction du 27 janvier 2006 3 D-1-06 prise à la suite de l’arrêt n° 243/03 du 6 octobre 2005 de la CJCE.
[3] – Cet exemple est d’autant plus intéressant que les opérateurs d’aménagement sont tenus à la production d’une déclaration de chiffre d’affaires (« CA3 ») pour chacune des opérations gérées qui est considérée comme un secteur distinct d’activité. Il est aussi plus que probable que cette question est en cours d’examen, voire de négociations avec l’administration fiscale.
[4] – CJCE n° 16/00 du 27 septembre 2001 « Cibo Participations SA » qui admet que des dépenses ne soient pas affectées directement à une opération imposable mais intégrés aux frais généraux de l’entreprise. Si l’activité de l’entreprise ouvre droit à déduction, alors toute la TVA sur les frais généraux peut être récupérée. A noter que cette argumentation a été reprise par le TA de Paris, le 8 juillet 2005 « Parke Davis SCA ».